Hommage à Rabia Djelti

Hommage à  Rabia Djelti

me voici a oran

ME VOICI, A ORAN

amina zaoui

 

Me voici, à Oran.
Il fait humide, dans cette ville cosmopolite. Après une décennie rouge ou noire, la ville a vieilli. Elle a trop vieilli!
Je suis triste, Oran, la rose a fané.
Les nuits de guerre sont longues, et les jours aussi!
Depuis ce balcon du cinquième étage, dans cet immeuble, au centre ville, à la rue Khémisti (ex Alsace Lorraine), je regarde la ville: Oran d’Ibn Mahrez Alwahrani, du célèbre marabout Sidi Blel, d’Albert Camus, Emmanuel Roblès, Alloula, Ahmed Wahbi, de Jean Sénac (Yahia El-Ouahrani), cheb Khaled… et la grande star Cheikha Remiti qu’Allah la garde dans son ombre clémente!…

Je lance un éclat de rire: ai-je beaucoup bu?

Ici, dans cette ville humide, ridée, un jour parmi d’autres, a été emprisonné le grand Cervantès.
L’histoire des villes ne m’intéresse pas! cela est l’affaire des retraités myopes et des voyageurs homosexuels! ai-je beaucoup bu, ce soir?

Et ici, dans cette ville qui ne ressemble à rien, j’ai vécu mon premier amour: les jours en miel!
Et dans cette ville j’ai pris, et pour la première fois, ma première gorgée de bière. C’était en compagnie d’une prostituée, dans une étroite et sombre et crasseuse chambre d’un bordel situé dans un quartier populeux et populaire! Le verre de la petite bouteille de bière (BAO) avait une couleur d’or, jaune-lumière!
J’aime cette ville.
Quelques jeunes au volant, la musique du raï oranais, qu’ils ont dans le sang, pour l’éternité! joncha le ciel de cette nuit qui vite tomba d’un gris humide!
Les villes ne sont que des sœurs jumelles des belles femmes!
On aime une ville, celle où on n’a connu une belle femme: la femme de sa vie.
Les villes sont les miroirs des femmes. Plutôt les femmes sont le miroir des villes: je n’en sais rien!
Et à Oran, j’ai aimé cette belle femme, Raba avec qui je partage le voyage et le rêve.

Ce jour, je ne sais pas pourquoi est-ce que je pense à mon ami, mon concitoyen oranais Monseigneur Pierre Claverie, poète et religieux, et à Mohamed son compagnon: un Mohamed inconnu!
Il y a 7 an déjà… Déjà, 7 ans, ou presque!
Je regarde la ville!
Le 1er août 1996 à 23h50 Monseigneur Pierre Claverie évêque d’Oran , âgé de 58 ans et son compagnon Mohamed ont été assassinés, suite à l’explosion d’une bombe placée à l’entrée de l’évêque.

La guerre est folle! l’homme aussi!
Une larme sur la tombe de Tolède!

Depuis ce balcon, au cinquième étage, j’observe cette ville traître: les villes qui trahissent leurs poètes et leurs enfants.
Je prends mon vin.
«- A ta santé et à ton âme mon ami le poète: Claverie.»
Goûter un bon vin, c’est lire un poème d’exception!
faire une prière pour un autre Dieu, celui qui hait la guerre!
Il fait chaud.
Je n’aime pas la bière.
L’Algérie est le pays, par excellence, des dattes, des vins, des belles femmes et des prières!
Comme Saint Augustin, Monseigneur Claverie est né en Algérie à Bab-el-oued ( Alger), un quartier populaire. Il fut nommé évêque d’Oran, en 1981 par Jean-Paul II, fonction qu’il assume jusqu’à son assassinat.
Pierre a été toujours un soldat pour le dialogue entre les religions et les cultures.
Il était l’ami des cheikhs des Zawaya ( les confréries), pourquoi il appréciait de rencontrer Cheikh Mehdi Bouabdelli, chef de confrérie, à qui il rendait souvent visite à Bethioua ( dans les alentours d’Oran).

Et je pense à Jean Sénac!
Les poètes sont des oiseaux d’une espèce rare!

Je pense à Kateb Yacine.
A Tahar Djaout!
Au cours d’un hommage solennel rendu à Pierre Claverie, ma compagne lança un youyou, et les autres femmes furent la même chose:
«l’Algérie qui a vu naître, sur sa terre élue, Saint-Augustin , Cheikh Ben Badis, s’honore d’avoir eu un Pierre Claverie.»
Il y a de cela six ans, déjà!

Une larme sur la tombe de Tolède!

Je regarde mon verre! je médite sur la rue bouillante, en bas! puis je quitte le balcon.
Je lis une citation de cette grande soufie, Rabia Al Adawiya (vers 713-805):
«je veux verser de l’eau dans l’enfer et mettre le feu au paradis afin que les hommes cessent de prier Dieu par peur de l’enfer ou par espoir d’entrer au paradis.»
Je pause mon verre de vin sur la petite table ovale, j’étale un tapis et je fais ma prière, pour la première fois je fais cette chose extraordinaire: Dieu était là ! il était dans le vin et dans l’expression de la grande Soufie!
Puis, je roule le tapis et je reprends mon verre de vin rouge!

Et je pense à Bagdad: ville de Shéherazade et du grand poète Abou Nouass!
La guerre est folle!

Fatima, parmi d’autres Fatimas, est enlevée par des terroristes à Chlef: «ce sont des barbares de la pire espèce».
Lina, ma fille, triste, les yeux larmoyants, encore, profondément cicatrisée et traumatisée par le souvenir de cette explosion de la bombe qui a soufflé notre voiture en 1992, me lit à haute voix un article dans un journal local sur Fatima. Mon café a déserté son arôme:
«Nous étions, raconte Fatima, ma mère et moi, dans le champ à travailler. Non loin de nous il y avait deux hommes qui travaillaient également la terre. Tout à coup , nous avons été surprises par trois hommes vêtus d’habits un peu sales, comme ceux des maçons. Nous avons cru avoir affaire à des simples citoyens quand, brusquement, l’un d’eux prendra ma mère par la nuque. Malgré ses cris et ses supplications de ne pas me faire de mal, il l’égorgera. C’est à ce moment que j’ai su que c’était des terroristes. Un peu loin deux autres terroristes surveillaient. Après avoir assassiné ma mère et les deux cultivateurs, ils me traînèrent par les cheveux et me donnèrent des coups avec leurs armes sur le visage et la tête afin de me faire taire. J’ai perdu connaissance. Je me suis réveillée en pleine forêt. Il faisait très noir. Là, les terroristes, qui étaient au nombre de cinq, ont commencé à me faire subir les pires sévices et me violèrent à plusieurs reprises. Je les ai suppliés de me tuer afin de m’éviter toutes ces souffrances. Mais un des terroristes me déclara qu’ils avaient encore besoin de moi et que mon heure n’était pas encore venue.
Le troisième jour, ils ont décidé de faire un faux barrage. C’est à ce moment-là que, grâce à Dieu, un patriote qui se trouvait dans les parages les a aperçus. Il tira dans leur direction. Croyant avoir affaire à un ratissage, ils s’enfuient. C’est à ce moment que je me suis sauvée en direction du patriote qui me prit sous sa protection. Il alerta les forces de sécurité qui m’évacuèrent vers l’hôpital de Ténès, où je fus soignée et hospitalisée pendant deux mois… je ne peux pas oublier ce que j’ai subi et la mort atroce de ma mère …».
Lina pleure. Et en silence, elle s’est retirée dans sa chambre! dans sa blessure.

Aujourd’hui, Lina reprend ses cours de musique. Elle aime le luth et la chanteuse libanaise Fayrouz.
Et..
Céline Dion, la gazelle québécoise!! explore de nouveaux horizons.
Et..
La chanteuse Céline Dion a eu en effet conclu une entente avec l’entreprise de cosmétiques américaines Coty lui permettant de représenter une ligne de parfums créée, dit-on , à son image.
Et..
Coty affirme que la gamme de produits pour lesquels Céline Dion deviendra ambassadrice captureront l’énergie, la féminité et le style de vie de la star. La compagnie américaine exporte actuellement ses produits dans plus de 25 pays et compose avec un chiffre d’affaire annuel de plus de 1,6 million de dollars.

Et..
Du bruit.
De la musique!!!
En bas, au pied de l’immeuble, passa un cortège de mariage. Des klaxons! des youyous, de la musique.. la fête.
Et il y a aussi la fête!

Un fil de belles voitures, grosses cylindrées, décorées par des ficelles et d’énormes bouquets de fleurs, joncha la ville.

Et..
Des affiches, des photos des candidats aux élections locales: des visages à la barbe, d’autres rasés!! collées aux murs nous harcèlent!

Il est sourd ce monde!
Une larme sur la tombe de Tolède!

Il est cinq heures du matin, peut-être un peu plus ou un peu moins, qu’importe! j’aime écouter la belle voix d’un muezzin traversant les terrasses des immeubles coloniaux ainsi que les ruelles, qui, dans leur silence et leur secret serpentent vers les places publiques. Sa voix féminisée réveille en moi l’appétit sexuel. Je cherche le corps de ma femme! la chair est absente!
Ma femme est en voyage!
Je relis Rabia Al Adawiya:
«je veux verser de l’eau dans l’enfer et mettre le feu au paradis afin que les hommes cessent de prier Dieu par peur de l’enfer ou par espoir d’entrer au paradis.».
Je cherche l’odeur de la chair.
Ce soir je suis esseulé dans ce lit ressemblant à un cercueil.

Une autre larme sur la tombe de Tolède !
Les rats envahissent Oran

Il fait humide.
La ville est sourde. Elle ne me parle plus! elle ne ressemble à rien!

Et la guerre est folle! l’homme aussi!

Et..
Oran est entourée par le feu: plus de 400 hectares ravagés par le feu, dont 200 hectares de pins d’Alep et de liège, 50 hectares de végétations et 150 hectares de massif forestier.
Du feu! et Bagdad!

Et..
Je lis: «Une chaussure supposée avoir appartenu au Prophète Mohammed , que le salut et la paix soient sur lui, a été volée d’une boîte en verre par des inconnus dans une mosquée de Badshahi, de Lahore, dans l’est du Pakistan. Une dizaine d’objets attribués au Prophète Mohammed sont conservés dans cette mosquée historique du 16ème siècle. Ce site est gardé par des employés du ministère des Affaires religieuses et visité chaque jour par 2000 à 3000 personnes.»

Il fait humide!
Il fait lourd!

Et..
le parlement turcs vote l’abolition de la peine de mort: je pense au leader kurde Abdullah Ocalan.
Je lis dans un livre de poésie de Nazim Hikmet.
Et je remémore les détails d’une nouvelle sur la tourterelle écrite par Nadim Gursel.

Je délire!

Je traverse le quartier populaire de M’dina Djedida , j’accompagne une amie française pour rendre visite au cimetière juif, entre le boulevard Zabana et celui de Mascara, un espace en perpétuel mouvement: bruit des marchands ambulants et brouhaha des vendeurs à la criée.
On ne transite pas à Oran sans faire le pèlerinage à ce quartier populaire.
Les murs blancs, peints à la chaux, sont fatigués.
Beaucoup de symboles qui jadis faisaient la notoriété de cet ancien quartier, ont cédé la place à autres tentations. Tout a changé. Le quartier ne ressemble en rien à celui où vivait un carnaval de couleur, un jardin de senteurs, et où les cafés maures spécialisés dans le thé à la menthe et les beignets sucrés, demeuraient ouverts la journée et une grande partie de la nuit! les gargotes qui servaient de la Harira épicée, pimentée, d’autres qui servaient du lait cru avec des galettes d’orge.
A partir de 17 heures,le quartier du M’dina Djedida est désert: des amas de cartons, des bourses en plastique noir et d’emballages et des prostituées en haïk blanc jonchent les trottoirs des ruelles envahies par une nuée d’enfants et des grappes de vieux.

Rien n’est comme avant.

Je rase les murs de l’école Al-Falah, le cimetière juif, la stèle des martyrs qui trône au milieu de la fameuse place publique « Tahtaha», et je me retire.
J’ai envie de prendre un verre de thé à la mente!
J’ai peur!
Une bombe rugit!

Déjà, il y a un an, sept mois et vingt trois jours, depuis la mort de mon père! De lui, je regarde ce portrait, cette canne accrochée au mur du salon, son encrier, son calame en roseau, son passeport de pèlerinage : il aimait les chevaux! Il était un fêtard.
Je l’embrasse sur la photo, et je bois à sa mémoire: il était, aussi, mon grand ami, mon dernier ami.
Combien, tu me manques, mon père! En ton absence, je me sens orphelin!

Et la guerre est folle! l’homme aussi!

Je suis seul.

Je n’aime pas les vendredis. Ce vendredi a une autre odeur!

Depuis cette terrasse qui donne sur la mer, je suis un groupe d’enfants, et je pense, je ne sais pas pourquoi, à Menad El-Hadja la comédienne qui a été brûlée vive par son frère! il l’avait aspergée d’essence et craqué une allumette.. alors qu’elle était en train de lui laver son qamis (tenue islamique)!
La petite étoile de la troupe théâtrale de la Salamandre s’éteigne! celle qui a joué dans différentes pièces, entre autres: « Diwan El- garagouz», «132 ans» du célèbre dramaturge Ould Abderrahmane Kaki.
El- Hadja était un petit feu! un ciel et une pluie. Elle aspirait à devenir une grande comédienne du théâtre.
Sur nous, en nous, s’abat une pluie de haine!
La guerre est folle! l’homme aussi!
Je retourne au balcon: Oran est là! fatiguée et abattue!

Une larme sur la tombe de Tolède!



16/01/2008
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